Dans la bande dessinée La famille Foulane en ‘Oumrah, Partie 1, alors que Walad est assis dans l’avion, après son envol, ses pensées se perdent à l’horizon : « Madinah, Makkah, nous voilà ! In châ Allah ». Or, ce même hublot qu’il utilise pour scruter au loin est aussi une fenêtre sur nos cœurs. Il permet certes de se tourner vers l’avenir, mais il permet aussi d’apercevoir l’aile de l’avion, sa fragilité, notre fragilité. Et de repenser à nos vies : est-ce seulement dans l’avion que nous sommes en danger ?
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Il est des endroits où l’on réalise vraiment que les choses ne sont pas entre nos mains. Dans l’avion, par exemple, ou à bord d’un bateau. Lorsqu’on traverse la méditerranée en quelques heures, de l’eau à perte de vue, ou qu’on s’enfonce en pénétrant dans le tunnel sous la manche, on ressent des vibrations étranges. Un mélange d’espoir, de crainte, d’impuissance et de résignation. On sent le danger, on sait que le risque est là, mais on avance. Enfin, pour être plus précis, on dira qu’on se laisse porter. Et maintenant qu’on est là, à quoi bon envisager le pire des scénarios ? C’est tellement clair qu’on ne pourra rien y changer.
Au moment de l’envol
Si l’avion se met à chuter, si les vagues submergent le pont du bateau, aussi grand et solide soit-il, si l’eau commence à infiltrer le tunnel ou que l’oxygène se met à y manquer, on sentira clairement que la fin est proche, notamment parce qu’on sait que les chances de s’en sortir alors sont infimes. C’est pour ça qu’à peine quelques minutes après être monté à bord de l’avion, tout le monde est attentif : ça peut toujours servir de savoir utiliser une bouée de sauvetage. D’ailleurs, on ne plaisante pas avec la sécurité ici. Le Stewart passe dans les rangs voir si les sièges sont bien droits, si les tablettes sont relevées et les ceintures correctement attachées. Personne n’émet d’objection lorsqu’il donne des ordres. Dans le meilleur des cas, le Stewart et l’hôtesse miment avec un air blasé les consignes à observer en cas de danger. Sinon, on espère que les hommes qui baissent les yeux savent déjà mettre une bouée. Un son léger et strident retentit. La lumière indiquant qu’il est interdit de fumer éclaire soudainement le petit plafond au-dessus de nos sièges étroits. Les têtes dépassent à perte de vue. Certains ont peur, certains filment. C’est le moment de l’envol.
A nouveau
Il est des endroits où l’on réalise vraiment que les choses ne sont pas entre nos mains. C’est plus clair maintenant ? Le capitaine se présente en deux ou trois langues et nous fait comprendre par son ton enjoué que nous sommes entre de bonnes mains : il maitrise l’appareil, c’est un homme d’expérience. Il en est même parmi ses collègues qui se permettent parfois de faire une petite blague à ce moment précis pour détendre l’atmosphère. Tout le monde rigole, c’est vrai. Mais au moindre trou d’air, ces belles paroles rassurantes ne pèsent même plus l’aile d’un minuscule moucheron. Il y a autre chose, c’est sûr. Et tout le monde le sent lorsque l’avion tremble comme s’il avait lui-même peur que ses ailes ne s’arrachent ; seul quelque chose de plus fort et de plus puissant que la maitrise dont se vantait le pilote pourrait nous rassurer maintenant. Lui, il ne sait que piloter. De là où nous sommes, on voit très clairement que la terre est toute petite et que le ciel est vaste. Puis il y a les étoiles, les galaxies, l’Univers…
Qui gère tout cela ?
Il m’est parfois arrivé de croiser des témoignages de personnes prétendument athées qui, confrontées à une situation extrême, une crainte pour leur vie, se sont mises à parler à « Dieu ». Le Coran nous met plusieurs fois en parallèle le comportement de l’homme, lorsqu’il a l’impression de se suffire à lui-même, et le comportement de ce même homme lorsqu’il a peur, lorsqu’il se sent impuissant et incapable de se sortir d’affaire. Un voyage peut t’aider à réaliser combien tu es petit, fragile, combien tu as besoin d’être protégé, combien tu es en danger. Car il te sort de ton confort et t’ouvre les yeux sur la réelle portée de ton « pouvoir » et combien l’homme est loin de gérer, de maîtriser et d’avoir dompté la nature et les éléments. Même s’il prend sa revanche en prêtant ces pouvoirs à des super-héros sortis tout droit de son esprit, aussi instable que fragile, il sait très bien qu’il ment. Comme pharaon lorsqu’il disait : « Je suis votre seigneur, le plus haut ! »
Prise de conscience
En vérité, si un voyage peut t’aider à réaliser ta faiblesse, c’est déjà une bonne escale avant d’arriver à destination. Mais il faut aller au bout du raisonnement. Le danger est palpable en avion, certes, mais tu prends plus de risques en montant dans ta voiture pour aller au travail. Parce que les accidents d’avion sont spectaculaires, c’est vrai, mais ils sont très rares. Contrairement aux accidents de la route, qui ont lieu tous les jours, à chaque heure, chaque instant. Même en lisant : « Fumer tue », l’homme est prêt à payer pour le faire. Pour boire de l’alcool aussi. Mais admettons de considérer ces deux problématiques comme réellement lointaines de notre communauté quelques instants. Dans la rue, devant ton écran d’ordinateur, ton téléphone : ne pas baisser ton regard tue aussi, n’est-ce pas ? Ça tue ton coeur, et pas seulement si tu es un homme. Et ces paroles injustes que tu prononces sous l’effet de la colère ou de la jalousie en font de même. En réalité, les dangers nous guettent de toutes parts, à des degrés différents, et nous sommes autant en danger sous la couette qu’au milieu de la mer ou dans le ciel. Es-tu à l’abri d’un tremblement de terre ? D’une pluie diluvienne qui s’abat sur ta ville et des inondations mortelles qui s’en suivent ? D’une crise cardiaque ? Mon frère, ma sœur, qu’attends tu pour te tourner vers Allah et revenir sincèrement à Lui ? Qu’attends-tu pour Lui vouer un culte exclusif en L’adorant comme Il t’a ordonné de le faire ? Qu’attends-tu pour te réformer ? Comme si tu te sentais… en danger ? Ne vois-tu pas que tu es en danger ?
Aboû Aḥmad



